Comment démocratiser le mandat de protection future en France ? #3

by | 25 Jan 2023

Après avoir évoqué les freins culturels dans notre premier article (lien ici) puis les freins pratiques dans notre second article (lien ici), nous abordons dans ce troisième article et dernier de cette série, les aspects plus juridiques pour faire progresser le recours au mandat de protection future. Dans ce domaine, les 4 freins que nous avons identifiés sont :

  • le manque de liberté contractuelle
  • un champ d’application trop étroit
  • l’absence de publicité
  • la question du coût

 

 

Trop compliqué, pas assez de liberté contractuelle

Toute personne majeure a le droit d’écrire son mandat de protection future, sauf si elle est déjà sous une mesure de protection juridique avec représentation (tutelle ou habilitation familiale avec représentation).

Écrire son mandat de protection future devrait être une démarche simple, évidente pour les personnes.

Pour certaines personnes, le plus simple, c’est de faire la démarche avec leur notaire.

D’autres personnes préfèrent recourir à leur avocat. Cependant, elles ne peuvent pas prévoir les fameux « actes de disposition à titre onéreux » qui ne peuvent être autorisés par avance que si le mandat de protection future est notarié.

Certaines personnes sans patrimoine ou seulement propriétaire de leur domicile, n’ont parfois ni notaire ni avocat. Elles préfèrent dans ce cas écrire leur mandat sans passer ni par un notaire ni par un avocat. Mais le cerfa, disponible sur internet, est trop compliqué à remplir et supprime toute possibilité de personnalisation. De plus, elles sont obligées de payer 125 € de droit d’enregistrement. Elles n’en n’ont pas toujours les moyens.

Pour lever les freins au mandat de protection future, il nous semble pertinent, comme en Belgique notamment, de permettre le plus de liberté contractuelle possible, quelle que soit la forme du mandat :

  • pouvoir écrire son mandat de protection future avec son notaire, son avocat ou seul et pouvoir prévoir ce que l’on souhaite à l’intérieur ;
  • prévoir la gratuité des droits d’enregistrement ou pas d’enregistrement si l’acte est signé numériquement via un dispositif de signature numérique répondant aux normes en vigueur.

Par contre, il nous semble fondamental de continuer à soumettre au contrôle du juge des tutelles, les décisions portant sur le logement de la personne. Le placement des personnes en maison de retraite est un sujet très sensible. 90 % des personnes souhaitent vieillir chez elles.

En matière de mandat de protection future notarié, le frein nous paraissant le plus important à lever est celui évoqué dans la proposition n° 7 du rapport des notaires d’octobre 2022 : « contractualiser l’obligation du mandataire d’établir les comptes de sa gestion et mutualiser les opérations de contrôle ».

En cas d’activation du mandat notarié, la loi prévoit que le mandataire de protection future doit rendre compte au notaire chaque année et que le notaire doit alerter le Juge des tutelles en cas de difficulté.

Beaucoup de notaires en ont conclu qu’ils doivent se charger du contrôle opérationnel des comptes annuels du mandataire de protection future. Ce qui constitue une responsabilité trop importante à leurs yeux. De plus c’est une mission chronophage, qui ne relève pas des compétences naturelles du notaire et très peu rémunérée (environ 300 € par an).

En réalité, la loi n’impose pas que le notaire se charge du contrôle opérationnel des comptes. Une autre personne peut être désignée dans le mandat. Certains notaires utilisent déjà cette possibilité et désigne des organismes spécialisés dans le contrôle des comptes. Le notaire a alors pour mission de vérifier que le mandataire a rendu ses comptes, de prendre connaissance de l’avis du contrôleur opérationnel, et selon l’avis du contrôleur, de saisir le juge des tutelles d’une difficulté.

De plus, la loi offre une marge de liberté pour définir dans le mandat les règles de reddition des comptes annuels. Si la loi impose de rendre compte annuellement, la loi est silencieuse sur la manière de rendre les comptes. Préciser dans le mandat de protection future les modalités de reddition des comptes serait très utile. C’est aussi un moyen de limiter les risques de responsabilité des notaires.

De nombreuses personnes – notamment des professionnels du viager – nous ont rapporté que certains notaires ont des réticences à établir des mandats de protection future notariés à cause de cette règle. Ils considèrent que le contrôle des comptes gestion ne relève pas de leur métier.

Pour régler cette difficulté, le rapport des notaires d’octobre 2022 propose que le mandant soit libre :

  • de prévoir ou non un contrôle du mandataire,
  • de déterminer sa périodicité,
  • de désigner un ou plusieurs contrôleurs, et pas obligatoirement le notaire rédacteur du mandat.

Il nous semble effectivement important que ces propositions des notaires soient rapidement adoptées par le législateur.

 

Trop limité dans son application

Dans le rapport des notaires, la proposition n°2 concerne l’élargissement du mandat de protection future à une mission d’assistance.

Cet élargissement inciterait à la rédaction du mandat car cela permettrait d’éviter totalement le recours au juge. Or, la perte d’autonomie passe souvent par une phase nécessitant l’assistance avant celle de la représentation.

Cette assistance devra être mise en œuvre par le législateur en permettant à la personne dont le mandat est activé, de décider librement, sans contresignature de son mandataire de protection future, contrairement à la curatelle. L’assistance doit être conçue comme une mission d’éclairage du mandant, et non comme un dispositif de contrôle, limitant sa liberté.

En effet, le fait que le mandat de protection future ne soit pas une mesure privative de liberté, contrairement à la curatelle, la tutelle, la sauvegarde de justice et l’habilitation familiale, est un atout fort, vraiment convaincant, dans notre société où la liberté est une valeur très importante.

Le législateur français pourrait aller encore un peu plus loin en s’inspirant de la réglementation belge soit, dans le même contrat :

  • une partie mandat applicable immédiatement,
  • une partie mandat de protection future.

Plus ce dispositif pourra prévoir de cas d’application, plus les personnes verront un intérêt à y recourir.

 

Pas de publicité

La proposition n°1 du rapport du conseil supérieur du notariat porte sur la publicité du mandat de protection future :

Cette publicité est prévue depuis 2015 par la loi, mais attend toujours un décret d’application. Cette publication permettra de savoir quelles sont les personnes qui ont choisi d’écrire un mandat de protection future.

Le gouvernement doit en urgence prendre ce décret d’application.

C’est une question récurrente que nous avons rencontrée sur le terrain : « comment les personnes sauront que j’ai rédigé mon mandat de protection future en cas de problème ? ».

Nous avons trouvé une solution pour compenser en partie l’absence de publicité : nous proposons aux personnes d’organiser l’information des tiers au moment de la signature du mandat ;

Alix.accompagne génère automatiquement l’envoi d’une attestation de mandat de protection future aux membres de la famille, au médecin traitant, au banquier, au service d’aide à domicile s’il y en a un, etc.

Mais il est évident que la publicité du mandat de protection future rassurerait et inciterait à sa conclusion.

 

Un frein financier : la non-prise en charge des honoraires des MJPM pour les personnes aux faibles moyens financiers

L’argument de la préservation de la liberté est important pour les personnes âgées :

  • fragiles,
  • en situation de précarité financière,
  • socialement isolées.

Nous l’avons récemment identifié avec notre expérimentation au sein de la Croix Rouge, dans le cadre de son accélérateur 21 La Croix Rouge Nexem.

Il est apparu que le mandat de protection future pourrait être très pertinent dans ce cas. Pouvoir choisir leurs protecteur.e.s futur.e.s et exprimer leur projet de vie future en cas de perte d’autonomie semble vraiment important pour elles.

De plus, du fait de leur isolement, sans anticipation de leur protection juridique future il y a des risques élevés :

  • de rupture du parcours de soin,
  • de non-recours aux droits (par exemple l’APA).

Cependant, un frein financier subsiste puisque :

  • les honoraires du mandataire de protection future professionnel ne sont pas pris en charge par l’État ;
  • en tutelle / curatelle, les honoraires du mandataire professionnel sont pris en charge par l’État.

Il est anormal que ces personnes soient contraintes de renoncer à leur liberté en raison d’un manque de moyens financiers.

Le législateur doit au plus vite faire cesser cette discrimination et prévoir la prise en charge des honoraires des mandataires futurs professionnels des personnes ayant de faibles moyens financiers.

Il suffit de transposer au mandat de protection future, les règles de financement des rémunérations des MJPM en fonction des ressources des personnes protégées, règles applicables en matière de tutelle ou curatelle.

De notre côté, en tant que société de l’économie sociale et solidaire, nous avons décidé de fournir gratuitement l’accès à notre service pour ces personnes en situation de précarité financière.

Nous espérons que cette série d’articles pour la diffusion du mandat de protection future contribuera à faire avancer ce dispositif juridique auquel nous croyons profondément.

 

Pour sensibiliser le plus grand nombre à la nécessité de rédiger son mandat de protection future, nous avons commencé en octobre une série #Histoire de protection. C’est une série d’histoires inspirées de situation réelle, dans lesquels les personnes n’ont pas anticipé. Nous exposons, dans le cadre de ces histoires de protection, les conséquences négatives de l’absence d’anticipation, et comment, avec un mandat de protection future, cette situation aurait pu être évitée.

Nous publierons prochainement notre 2ième histoire de protection.

Nous publierons aussi cette semaine les premiers résultats de notre enquête auprès des notaires sur leurs avis concernant le mandat de protection future.

À très vite !

Et vous, avez-vous rédigé votre mandat de protection future ? N’attendez-plus, planifiez-le. Quand ce sera urgent, ce sera trop tard.

Contactez votre notaire, votre avocat ou allez sur notre plateforme https://alixaccompagne.alix.care/Home/Register

Pour plus info, découvrez notre guide pratique mandat de protection future ici

 

Quelle est notre activité ?

Nous fournissons un parcours numérique, juridique et social d’aide à la protection juridique des séniors, Alix Care Séniors :

  • Alix.éclaire, service de formations des professionnels et de sensibilisation des séniors
  • Alix.accompagne, plateforme d’aide à l’anticipation des mesures de protection juridique, au service des notaires et des particuliers (découvrez notre offre à destination de notaire ici)

 

Pourquoi ?

Notre objectif est de contribuer à l’anticipation par les séniors de mesures de protection juridique personnalisées et choisies, pour :

  • soutenir leur maintien à domicile, car 90 % des séniors le souhaite,
  • limiter les risques de rupture de leur parcours de soin, et les hospitalisations en urgence,
  • prévenir les risques de conflits familiaux,
  • écarter le risque de désignation d’un inconnu pour les représenter en cas de perte d’autonomie.

Or, le mandat de protection future est le dispositif le plus adapté pour cela.

De nombreux rapports incitent à promouvoir le plus largement possible le mandat de protection future : ceux du Défenseur des droits, de la Cour des comptes, des parlementaires et sous la direction de Mme Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de Cassation.

Pin It on Pinterest

Share This