L’institut d’étude juridique du conseil supérieur du notariat a publié en octobre 2022 un rapport intitulé : « Lever les freins au développement du mandat de protection future : les propositions du notariat » (lien ici). Nous profitons de ce rapport, dont le sujet nous intéresse, pour publier une série de trois articles sur les leviers de démocratisation du mandat de protection future. Cet article est le premier.

En introduction du rapport, il est indiqué que cette situation résulte en partie de facteurs extra-juridiques ne relevant pas du domaine d’intervention des notaires : démographiques, pratiques ou psychologiques. Au cours de nos 3 années de recherche et développement, nous avons étudié de manière approfondie tant les aspects juridiques que non juridiques du mandat de protection future.

Pour notre premier article, il nous a semblé important de commencer par mettre en lumière ces freins non juridiques. Cet aspect nous semble tout aussi voire plus important à mettre en évidence pour induire un vrai changement à grande échelle.

Malheureusement, le mandat de protection future est encore trop peu utilisé en France.

Quels sont les chiffres ?

Suite à la décision d’un.e juge des tutelles, sans anticipation :

  • près d’1 million de personnes sont actuellement sous une mesure de protection juridique ;
  • plus de 100 000 personnes sont placées sous protection chaque année.

Le nombre de mandats de protection future est encore très limité (1 000 mandats activés en 2017).

Selon le rapport de l’Institut d’étude juridique du Conseil Supérieur du Notariat, 15 000 mandats notariés seraient conclus chaque année. Cela représente :

  • 2,23 mandats de protection future signés par an par office notarial (15 000 mandats / 6723 offices notariaux).
  • 0,27 % des actes notariés (15 000 mandats x 5 480 000 actes notariés établis chaque année / 100).

Compte tenu des enjeux considérables de la transition démographique, nous devons urgemment comprendre pourquoi le mandat de protection future est si peu utilisé et comment inverser la tendance.

Pourquoi le mandat de protection future est si peu utilisé ?

Est-il trop récent ? Non, le dispositif a été introduit en France en 2007.

En 15 ans, le mandat de protection future est très loin d’atteindre le succès rencontré en Belgique, introduit en 2014 :

  • plus de 63 000 mandants ont été conclus en 2021,
  • la Belgique compte 7 fois moins de personnes de plus de 65 ans que la France !

Manque d’information et problème culturel

Depuis 3 ans, nous informons inlassablement les professionnels accompagnant les séniors, les séniors eux-mêmes et leurs aidants sur l’existence du mandat de protection future. Et le constat est toujours le même : plus de 90 % des personnes ne connaissaient pas le mandat de protection future avant que nous le leur présentions.

La première étape de l’accès au droit, c’est la connaissance du droit. Je ne peux pas exercer un droit si je ne sais pas qu’il existe.

Nous pouvons témoigner de l’importante méconnaissance du mandat de protection future par les professionnels et les particuliers. Il est vraiment urgent de faire une communication massive sur le mandat de protection future. Cela fait partie des actions que nous allons mettre en œuvre fin 2022 et début 2023.

Cette méconnaissance généralisée du mandat de protection future est le plus grand frein à sa conclusion.

Frein culturel

Il existe aussi un frein culturel très important. Nous le touchons du doigt très fréquemment. En France, vieillir est souvent un sujet tabou. Et devoir être mis un jour sous mesure de protection, « sous tutelle », peut-être un sujet encore plus tabou. La tutelle est souvent ressentie comme une mort civile.

La prévention de la fin de vie est un sujet tabou.

Les personnes n’ont pas envie de l’affronter ou ne voient tout simplement pas l’intérêt de le faire. « Je le ferai comme je me sentirai vieux » m’indiquait une personne de 75 ans, récemment. Ma propre grand-mère a 97 ans et ne se sent toujours pas vieille. Peut-être ne faut-il pas attendre de se sentir vieux ?

Nous n’attendons pas de ressentir un danger sur la route pour prendre une assurance auto. Certes, c’est obligatoire d’être assuré pour couvrir les dommages aux tiers mais nombreux sont assurés « tous risques » et ce n’est pourtant pas obligatoire.

Alors, n’attendons pas de nous sentir vieux pour rédiger notre mandat de protection future, sorte d’assurance pour protéger notre qualité de vie future et celle de nos proches aidants, en cas de perte d’autonomie importante.

Comment dépasser ces freins culturels ?

Nous avons identifié qu’il y a des périodes clés au cours desquelles les personnes sont plus susceptibles de conclure leur mandat de protection future :

  • les fenêtres d’anticipation: les périodes de vie au cours desquelles les personnes sont dans un état d’esprit d’anticipation ; c’est par exemple le cas lorsque la personne décide d’organiser la transmission de son patrimoine, de vendre sa maison en viager ou de décider de s’installer dans une résidence services séniors ou autonomie,
  • les fenêtres de fragilité: les périodes de vie au cours desquelles les personnes ou un de leurs proches rencontre des problèmes de santé ou un accident, le retour à domicile après une hospitalisation etc.

Nous avons aussi identifié des profils types de situations pour lesquelles l’intérêt de recourir à un mandat est plus évident. Par exemple les personnes âgées vivant seules.

Notre démarche est de sensibiliser et de former les professionnels intervenant auprès des personnes traversant ces « fenêtres de vie » ou correspondant à ces « profils types ».

Comment contribuer à introduire une culture de la prévention de la perte d’autonomie ?

La pédagogie est avant tout la science de la répétition. Changer une culture, cela prend du temps, nécessite d’installer de nouvelles habitudes.

Cela peut se faire en formant le plus grand nombre de professionnels à aborder ce sujet de manière qualitative, c’est-à-dire :

  • sans stigmatiser la personne,
  • en amenant les bons arguments en fonction de la situation et des valeurs de la personne,
  • en enseignant que bien vieillir c’est prévenir le pire et espérer le meilleur.

 

Mais il existe des leviers d’accélération du changement. Par exemple :

  • montrer l’exemple : si vous êtes convaincu.e de la pertinence du mandat de protection future, faites-le et revendiquez-le ; vous inspirerez d’autres personnes qui en inspireront d’autres à leur tour etc.
  • associer cette nouvelle habitude à une émotion agréable : fierté d’avoir dépassé ses peurs, sérénité d’être prêt.e à affronter le pire.
  • appliquer les principes de la matrice « d’Eisenhower » qui consistent à classer ses tâches à faire dans les catégories « important » « urgent » « pas important » « pas urgent » ; écrire son mandant de protection future semble rarement urgent, mais est toujours important ; pour faire cette démarche, il faut la planifier et s’y tenir, en se donnant rendez-vous avec soi-même à une date précise.

 

La semaine prochaine, nous présenterons les freins pratiques au recours au mandat de protection future. La semaine suivante, enfin, nous analyserons les freins juridiques, pour partie évoqués dans le rapport publié par le Conseil supérieur du Notariat, pour partie non indiqués de ce rapport, mais qui nous semblent néanmoins importants à mettre en lumière.

Avez-vous rédigé votre mandat de protection future ? N’attendez-plus, planifiez-le. Quand ce sera urgent, ce sera trop tard.

Contactez votre notaire, votre avocat ou allez sur notre plateforme https://alixaccompagne.alix.care/Home/Register

Pour plus info, découvrez notre guide pratique mandat de protection future ici

Quelle est notre activité ?

Nous fournissons un parcours numérique, juridique et social d’aide à la protection juridique des séniors, Alix Care Séniors :

  • éclaire, service de formations des professionnels et de sensibilisation des séniors
  • accompagne, plateforme d’aide à l’anticipation des mesures de protection juridique.

Pourquoi ?

Notre objectif est de contribuer à l’anticipation par les séniors de mesures de protection juridique personnalisées et choisies, pour :

  • soutenir leur maintien à domicile, car 90 % des séniors le souhaite,
  • limiter les risques de rupture de leur parcours de soin, et les hospitalisations en urgence,
  • prévenir les risques de conflits familiaux,
  • écarter le risque de désignation d’un inconnu pour les représenter en cas de perte d’autonomie.

Or, le mandat de protection future est le dispositif le plus adapté pour cela.

De nombreux rapports incitent à promouvoir le plus largement possible le mandat de protection future : ceux du Défenseur des droits, de la Cour des comptes, des parlementaires et sous la direction de Mme Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de Cassation.

Pin It on Pinterest

Share This